< LE MONDE | 25.04.03 | 13h29
Ajaccio de notre envoyée spéciale : Ariane Chemin
La machine, une New Pebble de Macintosh, vient d'arriver sur l'île. Une
petite merveille américaine, que les nationalistes d'Indipendenza viennent
de se procurer pour 4 800 euros, afin de fabriquer les fameuses "cartes
d'identité" promises il y a quelques mois.
Des documents strictement personnels qui, espèrent-ils, préfigurent une
future Assemblée nationale corse (ANP), version XXIe siècle de la fameuse
Consulta naziunale de Pascal Paoli, le "père" de la "patrie" corse, lui-même
élu par une telle instance en 1755.
La pièce, infalsifiable, aura le format d'une carte bancaire. Au-dessus de
la photo d'identité, les armoiries de Paoli ; en dessous, la casata -
"lignée", plutôt que "nom de famille" - et les renseignements identitaires.
Une bande magnétique et un code-barres personnaliseront la carte : pour ne
pas froisser les susceptibilités, les nationalistes ont préféré éviter les
numéros, qui auraient pu être pris pour un rang hiérarchique. Toute personne
de plus de 17 ans née en Corse d'ascendants corses, ou après dix ans de
résidence continue dans l'île, peut en faire la demande au parti
indépendantiste.
Les premières "cartes d'identité corses" devraient être délivrées le 8 mai,
à Ponte-Nuovo. Là où, le long de la nationale qui mène de Bastia à Corte,
devant le pont génois qui enjambe le Golo, les nationalistes ont pris
l'étrange habitude de célébrer tous les ans la défaite des régiments de
Pascal Paoli contre les troupes de Louis XV, le 8 mai 1769.
Beaucoup parlent de gadget, même s'ils prédisent un succès "folklorique" à
l'opération, "comme les autocollants à tête de Maure, sur les voitures".
D'autres encore persiflent en relevant qu'il s'agit de la seule initiative
politique lancée par les nationalistes en 2002.
"Un gadget ? Pas du tout, répond Maurice Giudicelli, l'un des responsables
d'Indipendenza et principal maître d'ouvre de l'opération. C'est le premier
outil de la souveraineté. La carte va être reconnue par le peuple corse."
Pour d'autres raisons, le sénateur (PRG) de Corse-du-Sud, Nicolas Alfonsi,
l'un des principaux chefs de file du "non" au référendum proposé par Nicolas
Sarkozy, n'est pas, lui aussi, d'avis de traiter ça à la légère. "Imaginons
que demain quelqu'un se présente dans une banque, ou au guichet d'Air
France, et donne pour toute pièce d'identité cette carte. Imaginons que le
préposé, par peur - ou par sympathie pour les idées ainsi véhiculées -,
l'accepte. C'est le début de la fin", s'indigne l'ancien député et maire de
Piana, qui ajoute : "Les nationalistes cherchent tous les moyens, y compris
médiatiques, pour se faire remarquer et occuper le terrain. Ils étaient 16 à
17 % en 1982, 20 à 22 % aujourd'hui. Que dira-t-on, le 7 juillet, si le
"oui" l'emporte grâce à leurs voix ? La carte d'identité corse accrédite
l'idée, dans l'inconscient national, que la Corse s'éloigne encore de la
République."Maurice Giudicelli se flatte de tant de passion : "Il est clair
que, petit à petit, celle-là, on va essayer de l'imposer." >