Au synode, les protestants se prononcent contre une loi sur le voile
LE MONDE | 31.05.03 | 14h06
Bordeaux de notre envoyé spécial

Les protestants français se considèrent un peu comme les sentinelles de la laïcité. Partisans dès l'origine de la séparation des Eglises et de l'Etat ; mais aussi défenseurs de la liberté religieuse, pour laquelle ils ont payé le prix fort. Le président de l'Eglise réformée de France (ERF), le pasteur Marcel Manoël, a énoncé ses convictions, dans son message d'ouverture du synode annuel de son Eglise, qui se tient à Bordeaux (Gironde) du 29 mai au 1er juin.

"Le débat se focalise sur la question du foulard à l'école, qui devient symbolique de la compatibilité ou non de la pratique d'une religion et du respect de la laïcité, a-t-il relevé. Il y a deux manières de poser une question, selon qu'on veut la résoudre ou en faire un problème majeur. J'ai bien peur que ce soit la seconde qui ait souvent prévalu, et que la juxtaposition d'un racisme antimusulman non avoué et d'un laïcisme sectaire et intolérant ait conduit à tomber dans le piège tendu par les extrémistes : transformer en affrontement idéologique frontal ce qui devait être traité dans le dialogue et la concertation."

Le président de l'ERF, principale confession protestante en France, a ensuite émis des réserves sur le rapport rédigé par le député (UMP) François Baroin à la demande du premier ministre. Ce document propose notamment d'instaurer "le port d'un uniforme" dans les établissements scolaires des quartiers difficiles. "Quel aveu d'échec pour notre société (...) si, pour permettre à l'école de survivre, il faut l'entourer de grilles, la truffer de caméras de surveillance – bref, transformer l'école en prison – et la peupler de jeunes uniformisés, anonymisés, dépersonnalisés", a tonné le pasteur.

LA LAÏCITÉ, "NOUVELLE RELIGION"

M. Manoël a ensuite livré sa vision de la laïcité, qui "ne signifie pas – comme on l'entend dire parfois – que les convictions religieuses seraient interdites dans tout ce qui est public, ne devraient pas s'y exprimer, participer aux débats et contribuer aux choix qui en découlent".

Les responsables protestants veulent avoir leur mot à dire dans le débat sur les signes religieux à l'école. Jean-Daniel Roque, proviseur d'un lycée en région parisienne, est très sceptique sur le vote d'une loi qui interdirait leur port. "Imaginez toute la casuistique que cela suppose, s'exclame-t-il. Comment va-t-on faire la différence entre le gri-gri et le signe religieux ? Je ne nie pas les problèmes. Le métier d'enseignant est de plus en plus difficile. Mais ce n'est pas une loi qui va régler les conflits. La responsabilité des chefs d'établissement, c'est précisément d'apprécier les situations et de prendre les décisions qui en découlent."

Secrétaire générale de la Fédération protestante de l'enseignement, qui rassemble des professeurs de l'enseignement public, Anne-Marie Boyer exprime elle aussi ses réticences. "Entendons-nous bien. La FPE ne souhaite pas le port du foulard à l'école. Mais elle pense que légiférer n'est pas la bonne solution. Voter une loi ne fera que dresser une partie de la population contre une autre. Le plus grave pour moi aujourd'hui, ce n'est pas le foulard. C'est le fait qu'on ne puisse plus aborder certains sujets en classe, comme la Shoah, l'islam ou la guerre d'Algérie."

Interrogé sur le rapport Baroin, le président de la Fédération protestante, Jean-Arnold de Clermont, hausse les épaules : "Bien des sujets abordés ont déjà été résolus. Quant à la proposition de créer une mission d'information parlementaire sur l'islamisme, elle est contradictoire quand on déclare par ailleurs ne pas vouloir intervenir dans le contenu des croyances."Mi-sérieux, M. Manoël constate que "la laïcité poussée à l'extrême est en train de devenir une nouvelle religion".

Xavier Ternisien

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 01.06.03