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En Corse, des organisations clandestines revendiquent des actions racistes
Depuis six mois, des attentats visent les Maghrébins, leurs biens et leurs lieux de culte. Après le bon score réalisé sur l'île par le FN à l'occasion de la présidentielle, l'"immigration clandestine" est devenue un nouvel enjeu des débats locaux. Les nationalistes ont une position ambiguë.
"Arabaccia !" ("Pourriture d'Arabes !") "Arabi fora !" ("Les Arabes dehors !") Voilà, dans le texte, vite taggés sur les murs, les mots du racisme ordinaire en Corse. Alors qu'une série d'attentats "anti-Etat" secoue à nouveau l'île depuis le 2 juin, date de l'ouverture du procès des assassins présumés du préfet Claude Erignac, les enquêteurs continuent de travailler - sans succès pour le moment - sur ceux qui, plus discrètement, visent, avec une particulière violence depuis six mois, des Maghrébins, leurs biens, mais aussi leurs lieux de culte.
Des actions dont l'ampleur devient tout à coup inquiétante. Comme les manières, nouvelles, de mystérieuses organisations clandestines qui, depuis six mois, signent leurs actions dans de longs tracts ou des coups de téléphone anonymes.
En Corse, "l'année 2002 enregistre la hausse la plus élevée -de faits racistes- depuis dix ans", notait la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) dans son dernier rapport annuel (Le Monde du 29 mars) Cette explosion - trois fois plus d'exactions racistes en 2002 qu'en 2001 - résulte, selon elle, de "la surenchère à laquelle se livrent les divers mouvements nationalistes", menée au nom de la lutte contre "la substitution ethnique" et le trafic de drogue. Le rapport note qu'"avec des formulations plus ou moins nuancées", l'idéologie clairement exprimée par l'ex-FLNC contre les "allogènes", en 1999, continue de s'afficher à travers de nouveaux slogans pour la "décolonisation de la société" ou la lutte contre le trafic de drogue, toujours imputé aux non-Corses. Ainsi, le nombre de véhicules de personnes d'origine marocaine incendiés est en nette augmentation.
En 2003, le mouvement s'est accéléré. Mais avec deux nouveautés. Les attentats sont signés par de nouveaux sigles. C'est "Resistenza corsa" qui vient de revendiquer la bombe qui a saccagé un bar bastiais fréquenté par des Maghrébins, le 26 mai, ainsi que trois autres actes racistes. Resistenza corsa avait déjà revendiqué, peu après Noël, des attentats qui, comme ceux commis en décembre 2002, rue Droite, à Bastia, auraient pu tuer.
Dans la nuit du 19 mars, des tracts, signés par une mystérieuse Organisation secrète corse (OSC), avaient été lancés depuis des voitures dans les rues de Corte, Ajaccio, Bastia et d'autres villes. "Nous ne voulons pas que la Corse devienne un nouveau Kosovo", lisait-on, ou "une excroissance du Maghreb (...)". "Les agressions commises contre nos compatriotes par des Arabes sûrs de leur impunité grâce aux lois antiracistes sont des signes inquiétants et constituent les prémices avant-coureurs à des affrontements inéluctables et plus graves dans les mois à venir", annonçaient des tracts. Ils avaient été distribués un an jour pour jour après le meurtre d'une jeune femme, en Balagne, après des violences qu'elle aurait subies d'un Maghrébin, dans des circonstances que l'enquête n'a jamais clairement élucidées.
Autre nouveauté : les slogans et mots d'ordre. "Corse chrétienne", lit-on désormais sur les murs avec des croix celtiques. "Corsica a i Corsi". Dans les tracts, le thème de l'"immigration clandestine",surtout, a fait son apparition. Resistenza corsa justifie ses actions par la lutte "contre la drogue, la délinquance et la présence de communautés étrangères".
Alors que les autonomistes ont clairement condamné ces agressions, le mouvement nationaliste flirte, lui, avec ces thèmes et cultive l'ambiguïté.
"Nous n'accepterons pas que des membres d'une communauté étrangère à la Corse insultent impunément notre culture, notre langue, notre peuple", notait ainsi l'hebdomadaire U ribombu après l'attentat de la rue Droite. (Le Monde du 20 janvier). Le 21 février, dans un texte publié par Corse-Matin, Indipendenza, principale formation nationaliste, notait ainsi que, "dans la perspective de l'accession de la Corse à la souveraineté", le "mouvement national" participerait "à la construction d'une société d'où seront exclues des solutions économiques favorisant, par le biais de l'immigration sauvage, le trafic de travailleurs clandestins et le retour au travail illicite, véritable fond d'exploitation".
"L'activisme en cours ressemble davantage à l'extrême droite", estime néanmoins André Paccou, responsable de la Ligue des droits de l'homme (LDH) pour la Corse, "même si on peut craindre une certaine porosité des idées et, depuis le succès du Front national à l'élection présidentielle, le besoin d'envoyer de nouveaux signaux à certains secteurs de l'opinion nationaliste", ajoute-t-il. "Ce succès dans les urnes a créé un nouveau contexte. Le racisme ordinaire est devenu un sujet, énoncé politiquement."
Electrochoc ? Fin avril, pour la première fois, la Corse a semblé vouloir réagir à cette surenchère, alors qu'une une partie des locaux de la "mosquée" de Baléone, le principal lieu de culte des musulmans de l'île, dans la banlieue industrielle d'Ajacccio, était soufflée par un attentat.
C'était la quatrième fois que ce site était visé. Fin octobre 2002, un lieu de culte à Sartène avait aussi été victime d'une tentative d'incendie, comme le local de prière à Propriano, fin mars 2003.
Le 28 avril, près de 400 personnes sont venues assister au rassemblement organisé par la LDH et l'Union des Marocains de Corse-du-Sud. "C'est la première fois que j'ai vu les Corses se mobiliser comme ça",confie son président, Mouloud Mesghati, élu au Conseil français du culte musulman que Nicolas Sarkozy a installé le 3 mai.
Le conseil municipal d'Ajaccio était présent au grand complet, comme les représentants des différents cultes, tous les syndicats et partis politiques, y compris nationalistes. Un sursaut, même si, faute de résultats des gendarmes et des policiers, les interrogations demeurent.