BILLETS D'HUMEUR : Notes sans grande portée (VII)
Journal de François Brigneau


Le 09 Décembre 2003
Par François BRIGNEAU



LE FOULARD QUI SOUDE…
La République française se prétend une et indivisible. Ce n’est qu’un vœu pieux pour agnostique. En vérité la République française est double et divisée. D’un côté c’est la Gauche et de l’autre la Droite… On croirait entendre la voix d’airain du Père Hugo.
Cette division, quasi de fondation, est aggravée par les divisions internes qui déchirent la Gauche et la Droite. Elles pullulent. Elles foisonnent. Elles se nourrissent l’une l’autre. Elles sont le fait des diverses idéologies qui inspirent chacune d’entre elles, des différents héritages entraînant des lectures différentes du passé, du présent et de l’avenir, des tendances, des clans, des plans qui se superposent et s’annihilent, des ambitions contraires des capitaines, des rivalités exacerbées des équipages, des intérêts opposés et de la rapacité des bailleurs de fonds concurrents, etc., etc.

Dans un pareil système, l’unanimité ne peut être que rare et brève. Ceux qui la vécurent, l’espace d’un instant, dans la France du Maréchal puis dans celle du Général, ont pu en mesurer la courte durée, pour certains à leurs dépens. Nos mœurs politiques sont telles que lorsque l’unanimité se produit elle ne peut être que factice, donc suspecte. Voyez l’an dernier, celle que fabriquèrent contre Le Pen, coupable d’être arrivé second à l’élection présidentielle, la sottise, la haine et la trouille, marchant au son du schofar. Exemple encore, cette année, la levée en masse de ceux qui défendaient l’Algérie française et de ceux qui la combattaient, mêlés aux catholiques convaincus et aux mangeurs de curés, même quand il n’y a plus de curés, tous unanimes contre le port du foulard islamique à l’école laïque… Le foulard qui soude des ennemis irréductibles : ce ferait une jolie fable.

LA TOLÉRANCE ET LE RESPECT

Si l’école était toujours privée et catholique, comme elle le fut pendant des siècles, grosso modo jusqu’à Jules Ferry, il serait normal que les jeunes musulmanes enfoulardisées n’y soient pas acceptées. Mais l’école n’est plus privée et catholique. Depuis plus d’un siècle l’école est publique, gratuite, obligatoire et laïque. Si les mots ont un sens, publique venant de peuple, l’école publique est ouverte au peuple français, sans discrimination, dans la diversité de ses conditions et de ses convictions. Elle est gratuite afin de permettre aux moins fortunés d’y assister sans bourse délier. (A bien y voir elle n’est pas aussi gratuite qu’on le dit. Notre école est la plus chère du monde. Mais elle ne coûte qu’aux contribuables. Ils la payent, même quand lis n’y mettent pas leurs enfants.)

Elle est obligatoire. Malgré la morale permissive que M. Guyot voulait donner à l’école laïque (Pour une morale sans obligation ni sanction - 1883), ici, non seulement il y a obligation, mais il y a sanction. Les parents qui refusent de confier leurs enfants à l’école publique et n’ont pas les moyens de les mettre à l’école privée sont passibles des tribunaux, où de sévères amendes les attendent. Pour justifier cet autoritarisme, l’école ne peut qu’être laïque. En principe elle promet d’observer une stricte neutralité en ce qui concerne le domaine des croyances et des idées, de pratiquer la tolérance, l’humanisme et le respect des religions. Ce qu’elle fait, en apparence…

Même quand la franc-maçonnerie se servait de l’école laïque comme d’une machine de guerre contre l’Eglise, ne faisait-elle pas relâche le jour des grandes fêtes catholiques ? Ne donnait-elle pas à ses vacances des noms choisis dans le calendrier chrétien : Toussaint, Noël, Pâques, Pentecôte ? Pourquoi la République laïque regarderait-elle d’un autre œil les quatre ou cinq millions de mahométans qu’elle a laissé entrer chez nous ? La tolérance est si présente - en paroles tout au moins - au cœur de l’école laïque qu’elle n’exige même pas que l’esprit laïque habite les enseignés. Longtemps elle a accepté de servir du poisson, le vendredi, dans les cantines.
La coutume n’est tombée en désuétude qu’à cause de l’Eglise. Celle-ci ne demande plus à ses ouailles de faire maigre. Pourquoi les laïques seraient-ils plus bigots que les cagots ?

En revanche la synagogue et la mosquée n’ont pas molli sur les interdits. L’école laïque se garde donc bien de forcer les petits Juifs et les petits Arabes à manger du porc, comme les copains.
Ce qui me ramène à mon foulard par le chemin des écoliers. L’école laïque se veut l’école de la logique et de la raison. Pourquoi les petites mahométanes renonceraient-elles au voile que leur demande de porter le Prophète ? Le foulard de la tête serait-il plus attentoire aux valeurs laïques de tolérance, de neutralité, de respect des religions que le cochon en bouche ? Ce n’est ni logique, ni raisonnable, ni sérieux.

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L’ISLAM : ATTENTION DANGER ? NON !

En soi le foulard n’est rien, concèdent les spécialistes. Mais c’est une provocation. L’islam s’en sert pour tâter notre résistance. Si nous cédons, nous sommes fichus. Nous perdons une bataille et la face.
L’islam est donc dangereux ?
Ce ne semble pas être l’avis de M. Sarkozy. Qu’il existe des islamistes dangereux, il ne le conteste pas. Mais l’islam n’est pas un danger, car si l’islam était un danger, le ministre de l’intérieur lui aurait-il donné une représentation légale, accordée aux canons de la Démocratie ?
Les jeunes musulmanes peuvent dormir sur leurs deux oreilles cachées sous le voile en question. On voit mal le gouvernement faire voter une loi interdisant le port du foulard à l’école laïque. Ce serait désavouer son vice-premier ministre, offenser l’islam inoffensif, apporter du thé à la menthe au moulin à prières des islamistes dangereux. Même pour Raffarin, le gladiateur des Poitou-Charentes, est-ce possible ? A l’évidence, non.

ISLAM : ATTENTION DANGER ? OUI !

Mais l’évidence n’est plus ce qu’elle était. Malgré son auréole, qu’il porte sur les sourcils comme la gapette des voyous, la Terreur de Neuilly ne fait pas l’unanimité. Les exégètes du Coran le contredisent. Ils en citent des passages abominables annonçant l’extermination de l’infidèle au coupe-coupe. Je n’ai pas lu le Coran, mais j’ai eu plusieurs occasions de consulter la Bible récemment. Yahweh n’y va pas non plus au chasse-mouches. Le mot d’ordre est : "Pas de quartier !" Dans les pays conquis comme Jéricho, les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards, les bœufs, les vaches, les ânes seront passés au tranchant de l’épée (Josué, VI, 21). Tue, tue, ça n’a pas d’importance, Dieu les reconnaîtra là-haut. C’est ce que Sharon devait dire à Sabra-Chatila et qu’il dit en Cisjordanie et à Gaza. Inutile d’attendre l’euthanasie.
Malgré ces exemples terrifiants, peut-on accuser le peuple de la Bible et le peuple du Coran d’aussi noirs desseins ? Chacun répondra en son âme et conscience, et à la lumière du peu de savoir qu’il a pu acquérir. Mais admettons que l’islam constitue un péril pour la France et l’Europe. Je ne suis pas loin de le reconnaître… A quelques nuances et réserves près. L’islam n’a pas l’exclusivité du terrorisme. Il existe d’autres périls que celui qu’il peut représenter, d’une autre nature, mais aussi redoutables et d’une urgence peut-être plus grande.
Mais admettons. L’islam est dangereux. C’est une raison supplémentaire d’accepter le foulard islamique à l’école afin de montrer par l’image, par la simple photo de classe, la montée de l’invasion-immigration islamique de la France, favorisée, exploitée, tolérée, et pour finir acceptée en désespoir de cause, par tous les gouvernements de la Ve République.

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LE FOULARD PARTOUT INTERDIT ?

Mme Badinter affiche une autre opinion. Cela ne m’étonne pas. C’est si j’étais d’accord avec elle que je serais surpris. Ça m’inquiéterait presque… Dans son dernier ouvrage : "Fausse route" (éditions Odile Jacob), elle écrit : « En acceptant le port du foulard dans les écoles publiques, la République et la démocratie française (…) ont carrément abandonné l’exigence de l’égalité des sexes sur le territoire national. »
Diable ! Le foulard serait le signe extérieur de l’inégalité des femmes érigé en principe social ? La reconnaissance de leur soumission aux barbus et de l’oppression sous laquelle elles doivent vivre ? Dans ce cas ce n’est pas seulement à l’école qu’il faut l’interdire. C’est dans la rue, sur les marchés, dans les gares, les trains, le métro, dans la ville et la vie - en un mot : partout - qu’il faut le proscrire. Telle n’est pas tout à fait la position d’une autre experte. Dans "Bas les voiles" (éditions Gallimard), Mme Chahdortt Djavann déclare : « Que les femmes majeures veuillent garder un voile dans la rue, ça les regarde. Mais il faut qu’il y ait des lieux où les lois républicaines s’appliquent à tous et soient supérieures aux lois religieuses. » Ainsi, à la sortie de l’école, l’élève majeure pourrait remettre son foulard sans enfreindre les lois républicaines qui sont supérieures aux lois religieuses.
Je me demande ce que mes amis catholiques, hostiles au port du voile islamique à l’école laïque, pensent de cette affirmation. Nous touchons là au cœur du débat. Les lois républicaines sont-elles supérieures aux lois religieuses ? J’ajouterai : et laïques. Car en interdisant le port du foulard religieux à l’école, c’est aussi le véritable esprit laïque que violerait la République. C’est le fils d’un instituteur Iaïque, enfant de la laïque depuis la maternelle, élevé dans le respect des valeurs laïques, mais aussi compagnon de route de la Fraternité Saint Pie X (il faut de tout pour faire la France), qui parle, persiste et qui signe.

LE FOULARD DES SOLDATS

Deux mots encore.
Quand je croise des fillettes françaises aux yeux fardés, le clope entre des lèvres trop rouges, le corsage agressif, la jupette à ras-le-bonbon, je préférerais les voir portant le foulard.
Quand j’entends les clameurs antifoulards, je pense aux uniformes de notre armée d’Afrique. Le port du turban, de la chéchia, de la ceinture de laine rouge n’était pas interdit.
Je pense à ces musulmans que l’on décorait en accrochant la médaille du courage sur leurs burnous, gandouras ou djellabas, et l’image du bachaga Boualem me vient aux yeux en écrivant. Je pense à nos harkis, que la Ve République traita avec tant d’humanité.
Je pense à ces dizaines et dizaines de milliers de soldats qui sont tombés, au feu, pour la France et les Français, et qui sont morts, le croissant dans le cœur.
Je pense… et n’en déplaise à Mme Badinter, et à Mme Chahdortt Djavann, je ne suis pas très fier de nous.