Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept religieux de la communauté monastique de Tibhirine étaient enlevés.

Le paquet de Paris a ouvert, hier, une information judiciaire sur l’assassinat, en 1996, de sept moines trappistes de Tibhirine, a déclaré l’avocat des plaignants, Me Patrick Baudouin. L’affaire qui sera confiée au juge antiterroriste, certainement le juge Brugrière, attise déjà les plus vives polémiques au sein des responsables des services spéciaux, aussi bien algériens que français, par sa nature sensible et complexe et les soubassements politiques qui la sous-tendent.
La teneur de l’affaire est la suivante: dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept citoyens français vivant en Algérie, dans la communauté monastique de Tibhirine, à 8 km de Médéa, sont enlevés par un groupe armé se réclamant du GIA.
Le 20 avril 1996, une cassette audio est envoyée par la direction du GIA et par l’intermédiaire d’un émissaire, «Abdullah», à l’ambassade de France à Alger. La cassette authentifiée, permet de croire que, au 20 avril, les sept moines de Tibhirine étaient vivants et en bonne santé.
Le 26 avril, soit plus d’un mois après l’enlèvement, un communiqué «n° 43» du GIA, portant en-tête et signature de l’émir Abou Abderahmane Amine, alias Djamel Zitouni, paraît au quotidien El Hayet, publié à Londres. Le communiqué revendique l’enlèvement des moines et propose un échange de prisonniers, entre autres, Abdelhak Layada, premier chef du GIA, incarcéré à la prison de Serkadji à Bab Djedid.
Le communiqué n°44, deux mois après l’enlèvement des moines, annonce l’exécution des sept moines de Tibhirine. Le 31 mai 1996, les autorités annoncent la découverte des sept corps sans vie des religieux français (en fait, il s’agissait de sept têtes,, les corps n’ont jamais été retrouvés.).
Le martyre des moines, les circonstances de leur enlèvement et le «cafouillage» dans les négociations qui avaient été menés de façon très discutable, ont relancé l’enquête sur la véritable identité des auteurs de l’enlèvement. Des doutes ont été nourris et des interrogations sont venues se poser à longueur de lignes...
Trois témoignages sont venus, l’un après l’autre, appuyer les doutes élagués par ceux qui avaient toujours soupçonné les services spéciaux algériens, le département recherches et sécurité notamment, d’être derrière certaines violences attribuées au GIA.
Abderahmane Chouchane, résidant actuellement en Grande-Bretagne, ancien capitaine instructeur dans l’armée algérienne, a déclaré en juillet 2002 devant un tribunal français, que Djamel Zitouni était un agent du DRS.
Abdelkader Tigha, résidant actuellement en Jordanie, ancien adjudant du DRS, a confirmé en décembre 2002, dans les colonnes du quotidien Libération, que Djamel Zitouni était un agent du DRS et que l’enlèvement des moines trappistes avait été planifié au Ctri de Blida (Centre territorial de recherche et d’investigation, dépendant du contre-espionnage du DRS).
Mohamed Samraoui, enfin, résidant actuellement en Allemagne, et ancien commandant du DRS, affirme dans son ouvrage Chronique des années de sang, publié en France, que le GIA était un groupe largement contrôlé par le DRS et infiltré jusqu’à la direction et que Zitouni était un agent des renseignements placé à la tête du GIA par les services spéciaux algériens.
Le 9 décembre 2003, une plainte avec constitution de partie civile est déposée devant le doyen des juges d’instruction auprès du tribunal de grande instance de Paris, par Me Patrick Baudouin, avocat au Barreau de Paris, au nom des membres de la famille Lebreton et du père Armand Veilleux. C’est ainsi que, près de huit années après le drame des moines de Tibhirine, l’affaire ressurgit de nouveau et avec elle, son lot de douleurs, de mystères, de doutes et de soupçons.
Au centre des polémiques, Djamel Zitouni, émir national du GIA et responsable direct de l’enlèvement des sept religieux français. Analphabète, ancien vendeur de volaille, pour certains médias français, il peut s’agir d’un agent des services algériens, qui, manipulé et malléable, peut se prêter à tous les jeux politiques qui pouvaient sous-tendre ses actions terroristes. L’homme, ainsi décrit, n’est qu’un alibi, derrière lequel se profile l’ombre menaçante du DRS.
Pourtant, des repentis, membres de la direction du GIA, avaient bien raconté, à partir de 1998, comment Zitouni avait décidé, seul, et sans l’avis des «ahl el-hall war-rabt», instance suprême dans l’organigramme du GIA, d’enlever les moines trappistes dans le double objectif d’amener les autorités françaises à cesser d’appuyer le régime algérien et d’obtenir la libération de Abdelhak Layada, membre-fondateur et premier émir du GIA, d’octobre 1992 à juin 1993.
Zitouni, entouré alors des seuls Antar Zouabri, Abou Rayhânâ, Diya Abdessamad et Redouane Abou Bacir, avait décidé de procéder au rapt des moines de Tibhirine.
Un premier ordre avait été donné à Abou Chouâïb Ali Benhadjar, émir du bataillon de Médéa, lequel refusa d’obtempérer à celui qu’il considérait comme «déviationniste», après l’assassinat de Mohamed Saïd, Abderezak Redjem, Abdelouahab Lamara et Bachir Torkmane. Devant ce refus, Zitouni donne ordre aux groupes de Bougara, Ouzera, Berrouaghia et Blida de prendre l’affaire en main.
Grand adepte des «coups d’éclat médiatiques», Zitouni voyait le GIA plonger inexorablement vers la désagrégation totale. Contesté de toutes parts, il pensait, en consultant le seul cercle réduit de ses proches amis, réussir un coup de force. Peu avant sa mort, il avouait à certains chefs de kitabate encore en vie aujourd’hui, qu’il avait été mal conseillé dans cette affaire des moines qui lui vaudra, par la suite, un dé-savoeu intégral de la part de tous les émirs de katibates.
Concernant la manipulation de Zitouni, il serait intéressant de revoir le «cursus islamiste» de celui-ci, depuis 1988, et le fait qu’il avait été toujours dans le sillage de Chérif Gousmi (qu’il remplaça d’ailleurs, à la tête du GIA en juillet 1994), pour ne pas tomber dans la facilité et la tentation de refaire les événements à sa manière.
Le contexte de «fin de règne» dans lequel avait pris au départ, le rapt des sept religieux peut, à lui seul, expliquer, pour ceux qui connaissent l’histoire tumultueuse des groupes armés, les choix suicidaires de Zitouni. De 1994 à 1996, il ne quitta que deux fois les monts inexpugnables de Chréa et lorsqu’il fut criblé de balles, en juillet 1996, entre Ouzera et Tablat, c’était pratiquement un émir seul, contesté et hyperviolent et qui s’était, depuis deux années, déjà coupé du monde des gens.

© cariddeo pour L'Expression, Alger, Algerie , 11 février 2004