Les ambiguïtés de la politique commerciale européenne à l'égard de la Chine
Publié le 01 octobre 2007
Actualisé le 01 octobre 2007 : 07h43
L'analyse de Pierre Avril, correspondant du Figaro à Bruxelles
Les ampoules de fabrication chinoise à basse consommation, qui permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre, continueront, durant un an, à être frappées de taxes antidumping. Il a fallu la pression d'un seul pays - en l'occurrence l'Allemagne - pour que l'Union européenne, contre l'avis de la majorité des 27 États membres et des associations écologistes, décide de prolonger ces
« taxes hypocrites et absurdes », selon l'expression de l'eurodéputé britannique Syed Kamal.
Bien qu'Osram produise en Chine une partie de ses fameuses ampoules, la célèbre société allemande en importe moins que son concurrent direct, Philips. Et, dans la mesure où sa production communautaire est supérieure à celle du géant néerlandais, elle aurait été davantage pénalisée par la suppression des taxes antidumping. Le raisonnement a beau être abscons, il a paru infaillible aux yeux de Berlin, qui s'est alors empressé de l'imposer à ses partenaires de l'Union.
Cet épisode illustre à merveille les ambiguïtés et les tâtonnements de la politique commerciale européenne à l'égard de la Chine, ce partenaire boulimique que Bruxelles ne parvient pas à domestiquer. À première vue, tout accable Pékin. Encouragées par les autorités, les usines chinoises inondent l'Union de leurs articles et matériaux à bas prix, ce qui déstabilise les marchés communautaires. Le textile, hier, l'acier aujourd'hui, les meubles demain : la liste ne cesse de s'étoffer, avec dans son sillage, l'explosion de la contrefaçon, voire, comme le rappelle l'épisode des jouets Mattel, l'apparition de risques sanitaires.
Pire, tout en développant une politique d'exportation agressive, Pékin verrouille l'accès de ses marchés aux investisseurs européens. Selon Bruxelles, ce protectionnisme d'État entraînerait 20 milliards d'euros par an de manque à gagner pour les entreprises du Vieux Continent. Résultat de ces forces asymétriques, le déficit commercial entre les deux puissances se creuse à la vitesse de
« 15 millions d'euros à l'heure », calculent les experts.
Face à ces menaces, la réponse de l'Europe manque de consistance. Comme les États-Unis, au temps du communisme, l'UE applique une timide politique de
containment à l'égard du commerce chinois, tandis que Washington n'hésite pas à rendre coup pour coup. Dans l'affaire des tee-shirts « made in China », les 27 se sont même couverts de ridicule. Oubliant qu'en 1995 à l'OMC, ils avaient accepté une disparition totale des quotas textiles - censée prendre effet le 1er janvier 2005 - les États-membres ont, sous la pression de l'industrie, rapidement réintroduit des barrières. Ces nouveaux contingents devraient être définitivement démantelés début 2008, mais rien ne dit que l'UE sera prête, cette fois encore, à honorer l'échéance. Bruxelles a récemment prié Pékin d'assurer une «
transition en douceur » pour ses exportations textiles.
De même, contrairement à Washington, Bruxelles hésite à traîner Pékin devant le tribunal des différends de l'OMC pour violation de la propriété intellectuelle. Si quelques marques de luxe dénoncent à grands cris la contrefaçon, la majorité des entreprises européennes implantées en Chine restent d'une discrétion de violette.
« Pour instruire une plainte, il nous faut de la documentation. Or, les entreprises ne nous aident pas beaucoup », constate, sous couvert d'anonymat, un expert européen basé à Pékin. «
Chacun réfléchit à une action judiciaire, mais personne n'ose franchir le pas. Les entreprises de télécoms pourraient dénoncer des non-paiements de royalties mais elles ont trop peur de se voir écarter du marché de la téléphonie mobile de troisième génération. »
Dans la classique évaluation des gains et des coûts, les entreprises ont vite fait leurs calculs. Novartis s'inquiète en privé du pillage des brevets pharmaceutiques, ce qui ne l'empêche pas de vouloir implanter un centre de recherche à Shanghaï. Et c'est au prix d'un périlleux transfert de technologies avec un partenaire chinois, qu'Alstom signe un contrat visant à fournir 500 locomotives au pays.
Les consommateurs européens aussi savent où sont leurs intérêts : celui des prix les plus bas. Et à la table des 27 ministres européens du Commerce, leur voix est autant entendue que celle des producteurs de textile. Quand la France dénonce la concurrence sauvage, le Royaume-Uni exige le démantèlement des barrières tarifaires.
La Chine joue de ces divisions comme sur du velours, contraignant le commissaire européen au Commerce à un pas de deux permanent. Lorsque Peter Mandelson se rend à Pékin, il rencontre les ministres les plus sensibles aux inquiétudes européennes, mais trouve porte close lorsqu'il s'agit de convaincre les dirigeants les plus rétifs à appliquer les règles du commerce international. Les premiers annoncent de nouvelles lois anticontrefaçon qui seront, mal, voire pas du tout appliquées. Le commissaire a récemment reconnu qu'avec la Chine,
« nous n'avons pas atteint l'équilibre nécessaire ». Il s'agit évidemment d'un euphémisme.